Outsourcing et Ressources Humaines : le BPO : solution pour la transformation de la fonction RH ?

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L’hyper-compétition, la globalisation, la généralisation des TIC vont de pair avec de nouvelles formes organisationnelles, le développement des entreprises en réseau, la désagrégation de la firme traditionnelle (Pichault, Rorive. 2003). Le recentrage sur le cœur de métier de l’entreprise amène la firme pivot à externaliser certaines activités. Ainsi, l’entreprise a abandonné dès les années 80 des activités périphériques (restauration, nettoyage) ; puis a externalisé certaines applications (informatique, logistique..) puis des processus plus complets et des fonctions (Business Process Outsourcing BPO).

Les recherches concernant le thème de l’externalisation des SI (infogérance) sont abondantes (Feeny, Lacity, Willocks 2005). Des articles plus récents et moins nombreux portent sur l’externalisation de fonctions, de processus opérationnels, et plus spécifiquement sur la relation client, les centres d’appels, les services financiers, les ressources humaines.

Dans cet article, nous nous intéresserons à l’externalisation RH. De nombreux auteurs se questionnent sur l’évolution de la fonction RH aujourd’hui « sous pression ». Certains évoquent la possible disparition de la fonction. D’autres chercheurs sont plus optimistes.

Deux facteurs sont censés libérer la fonction : d’une part les technologies de l’information et d’autre part l’externalisation des activités administratives (Schrivastava 2003). C’est la naissance de l’e-RH interface entre les SI et la RH. Depuis les choses ont évolué et l’actualité met en avant les méga-contrats d’externalisation RH (exemple entre P&G et IBM ). Ce phénomène est il synonyme de reengineering de la fonction RH ?

L’article présentera dans une première partie une définition de l’externalisation et des différentes formes d’outsourcing en RH. Une deuxième partie portera sur le nouveau rôle stratégique de la fonction. Enfin nous nous interrogerons sur la problématique suivante : le BPO est il la solution pour la transformation tant attendue de la fonction?

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1 – L’externalisation : caractéristiques et potentiel pour un nouveau modèle RH

1.1 – Caractéristiques de l’externalisation

Les auteurs parlent d’externalisation ou utilisent le néologisme « outsourcing » correspondant au terme anglo-saxon. Ce dernier est lié au « sourcing » c’est dire répondre au besoin de l’entreprise en interne (in) ou en externe (out). Si la sous-traitance est connotée court terme, l’externalisation implique un rapport étroit entre l’entreprise et son prestataire : elle procède plus du partenariat stratégique. Le rapport du conseil économique et social (2005 pll20) propose la définition suivante :

  • l’externalisation peut être définie comme étant le recours à un prestataire externe, pour une activité jusqu’alors réalisée au sein de l’entreprise
  • elle s’accompagne le plus souvent d’un transfert de ressources matérielles et/ou humaines ;
  • elle requiert un cadre contractuel, définissant dans un cahier des charges, les prestations et les obligations réciproques, de façon globale et plus étoffée que pour la sous-traitance ;
  • elle s’inscrit dans la durée avec un engagement à long terme de l’entreprise et de son prestataire.

Plus spécifiquement, les praticiens subdivisent l’externalisation des RH en différentes catégories : de l’ASP jusqu’au BPO.

Schéma 1

Schéma 1

L’ASP Application Service Provider correspond à la mise en ligne d’un logiciel (exemple du « best of breed » Cegid CCMX). La prestation est payable à la transaction ou au forfait. Ce type de service RH est notamment utilisé par les PME.

L’hébergement est choisi quand une entreprise acquiert une solution et l’héberge chez un prestataire.

La TMA indique que le prestataire de service est aussi responsable de la maintenance.

L’infogérance est la gestion et l’exploitation de services de ressources informatiques (matériels et réseaux). Celles-ci peuvent être localisées chez le sous traitant.

Les services de traitement consistent à confier un processus RH à un prestataire spécialisé.

Le BPO Business Process outsourcing consiste à confier à un prestataire l’intégralité d’un processus métier. C’est l’externalisation de la gestion administrative du personnel. L’entreprise garde en interne les décisions managériales et délègue à son prestataire (exemple IBM, Accenture, ADP GSI) la mise en œuvre administrative de sa politique. La logique de recentrage vers le cœur de métier de l’entreprise a conduit les entreprises américaines à aller encore plus loin en externalisant le contrat de travail, le recrutement, la rémunération avec le PEO « Professional Employer Organization ». (http:// www. napeo. org/ ). Mais cela est réservé aux petites entreprises et ne fonctionne qu’aux Etats-Unis (Klaas, Gainey, McClendon, Yang 2005)

Le BPO est il compatible avec le nouveau modèle de GRH ?

1.2 – Vers un nouveau modèle de RH ?

Ulrich (1996) présente quatre rôles génériques de management de la fonction RH nommés « Strategic Partner », « Administrative Expert », « Employee Champion », « Change Agent ». L’auteur les positionne sur une matrice à travers deux axes : focalisation process-focalisation sur les hommes ; orientation stratégie-orientation opérationnelle. Dans chacune de ces différentes missions, le responsable RH doit s’efforcer de créer de la valeur pour les employés, les investisseurs et les clients de l’entreprise. Ces quatre profils permettent d’évaluer la performance de la RH.

L’expert administratif oriente son action sur l’opérationnel, gère les contrats de travail, la paie et l’ensemble des actes administratifs. Il dispose aujourd’hui de différents supports informatiques.

Le DRH champion des salariés répond aux besoins des salariés, améliore les niveaux d’engagement et de compétence.

L’agent du changement est une sorte de catalyseur, encourageant l’innovation, et contribuant à la transformation des organisations.

Le partenaire stratégique aide l’entreprise à atteindre ses objectifs stratégiques et vise à aligner les pratiques de GRH aux grandes orientations de l’entreprise avec notamment l’utilisation du tableau de bord « HR Scorecard » pour positionner la fonction RH en tant que partenaire stratégique.

Le LENTIC associe l’expert administratif tout comme le champion des salariés à une GRH de type mécanique prenant en compte des activités que la hiérarchie n’entend pas assumer (ex paie), tandis que l’agent du changement et le « human resource partner » participent à une DRH organique. Développer et institutionnaliser le rôle stratégique de la RH permettra à la RH de devenir partie prenante dans la création de valeur de l’entreprise.

Beysseyre des Horts (2005), indique que la littérature présente souvent l’introduction des TIC comme une démarche de création de valeur pour l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise mais que peu d’études empiriques existent sur ce thème.

Dans ce cadre, des entretiens exploratoires ont été menés auprès de prestataires leaders en services RH pour comprendre comment l’externalisation des processus métiers informatisés peut aider la fonction dans son nouveau rôle.

2 – Le BPO peut il résoudre les tensions entre le rôle administratif traditionnel de la RH et le nouveau rôle stratégique de la RH ?

En France l’externalisation RH concerne pour l’instant plus certains processus que la fonction RH elle même. Les figures ci-dessous décomposent les tâches RH externalisées et les attentes vis-à-vis de l’externalisation.

Schéma 2

Schéma 2

Le traitement de la paie est le premier domaine sous traité. Et cette tendance semble s’affirmer en 2008. La formation est le second item. En effet, les interlocuteurs rencontrés citent le ’DIF’ droit individuel à la formation (Loi du 5/5/04) comme déclencheur d’externalisation de certains processus RH. L’ industrialisation du DIF complexifie le SIRH et demande des ressources internes supplémentaires.

Concernant les enjeux de l’externalisation, les entreprise citent en plus des motifs financiers, l’optimisation de la veille réglementaire. Cela est justifié car la GRH est reliée à la connaissance du droit social local. Le second item porte sur la globalisation et l’internalisation. Cela n’est pas étonnant puisqu’un élan est donné par les multinationales désirant harmoniser et coordonner leurs politiques RH.

Schéma 3

Schéma 3

Pour les grands prestataires (ex IBM, Accenture), le BPO est lié au concept de centres de service partagés, « shared service center » ou SSC.

Historiquement ces centres étaient internalisés au sein des entreprise. Ce sont des entités opérationnelles indépendantes qui ont pour vocation de centraliser un certain nombre de fonctions supports pour une entreprise ayant des activités multiples et de nombreuses implantations géographiques. Au lieu d’avoir des « back-offices » indépendants, intégrés à chaque unité opérationnelle (usine, filiale etc), il s’agit de regrouper les ressources de support.

À la différence d’une centralisation administrative, ces centres sont responsables de la gestion des coûts et de la qualité de leurs services. Ils disposent d’un budget propre et définissent leurs mandats de prestations sur une base contractuelle avec leurs clients internes qui, de leur côté, fixent les critères de performance en matière de coûts, délais et qualité. Le centre de services voit ainsi ses coûts et ses performances régulièrement comparés aux référentiels de performance issus des meilleures entreprises et prestataires externes, pour constituer un véritable centre d’excellence, et centre de profit. Ces SSC sont en interface avec les parties tiers comme l’URSSAF, la Sécurité Sociale etc…

Aujourd’hui, les centres de services partagés autrefois gérés en interne peuvent être externalisés (transfert de personnels) ou créés avec un prestataire de service (transfert de compétence) (Horan, Vernon 2003). Ainsi IBM possède plusieurs grand centres internationaux à disposition des clients: en Asie Pacifique 300 personnes et Chine 100 personnes), un en Europe (500 personnes à Budapest) et aux Etats-Unis (Costa Rica 500 personnes et Hortolândia Brésil 300 personnes). Les SSC sont souvent « offshorisés ». Les zones géographiques sont sélectionnées en fonction de l’attractivité du pays (infrastructure, environnement politique, monétaire, financier, fiscal, juridique et de l’attractivité des ressources (coûts des salaires, de l’immobilier, qualité, compétences, langues parlées, bassin d’emploi etc).

Dans le cas du transfert de personnel, le prestataire de service s’engage à reprendre des salariés du donneur d’ordre. Ainsi dans le cadre de l’externalisation mondiale de la gestion administrative RH de Procter et Gamble, IBM a repris environ 800 salariés y compris les trois centres partagés de la multinationale. Les nouvelles formes d’organisation, et plus particulièrement le phénomène d’externalisation ont des conséquences sur les conditions d’application du droit du travail. Le développement des opérations d’externalisation de domaines fonctionnels s’accompagne d’une professionnalisation du cadre juridique et fiscal dans lequel se font ces opérations. En France, avec le fameux article L122-12 du code de travail (Voir les équivalents du L122-12 en Europe à www. lovells. com/ Lovells/ Publications), le transfert du personnel est automatique à condition que ce transfert porte sur une entité économique autonome. Le thème de la responsabilité sociale est évidemment très présent dans ces restructurations (Rorive 2005). La création de Joint-Venture ou d’un groupement d’intérêt économique entre le prestataire et le donneur d’ordre permet de traiter les BPO de manière moins abrupte. Ces structures juridiques n’ont pas pour vocation de perdurer : elles accueillent des salariés « en statut 122-12 » quand le montage indique un transfert de personnels et des salariés « en détachement », quand le donneur d’ordre cherchent à les redéployer en interne. Les entretiens menés montrent que le premier frein pour le BPO est le risque social. Les prestataires utilisent à ce titre la création de structure pour gérer la transition dans une plus grande durée.

Dans le cas du transfert de compétence, le prestataire en BPO ne reprend pas de salarié de la firme.

On peut légitimement se poser la question, de risques pour l’entreprise externalisant ses ressources humaines. Ne va-t-on pas vers une régression de la RH à force de tailler dans ses ressources ?

Nos entretiens exploratoires auprès de prestataires de BPO montrent que ces derniers défendent une vision stratégique de la RH et non pas simplement une logique économique (réduction de coûts). Le BPO permettrait de mettre en place la transformation de la fonction RH, résolvant les tensions entre son rôle traditionnel administratif et son nouveau rôle stratégique.

Schéma 4

Schéma 4

Le BPO permet de libérer la RH pour qu’elle puisse s’occuper de missions plus stratégiques. Les prestataires prennent en charge le centre de services partagés (généralistes RH en interface avec les pays) et mettent à disposition des employés un portail RH (correspondant au bloc technologique dans notre schéma). Les « HR partners » travaillent avec les busines units. En phase de développement, priorité est donnée aux recrutements, au développement de la motivation etc ; en phase de stabilisation la RH aligne au mieux les compétences ; enfin en phase de récession la gestion de crise est engagée. La « RH corporate » élabore la stratégie institutionnelle et est en interface avec l’expert center (RH spécialistes processus).

Les différentes cases du schéma ci dessus sont indissociables, inter reliées et ressemblent curieusement au modèle d’Ulrich.

Pourtant force est de constater que les études empiriques portant sur l’efficacité du BPO ne sont pas assez nombreuses pour universaliser le BPO. De plus les résultats ne sont pas toujours cohérents (Shi, Chiang, Hsu (2005), Cook (2005, 2006) Shen (2005), Schlosser, Templer, Chanam (2006).

A l’instar de Mani, Barua, Whinston (2006) et de Linder (2004), il semble utile pour analyser cette thématique de distinguer deux types d’externalisation : l’externalisation transactionnelle et l’externalisation transformationnelle.

Schéma 5

Schéma 5

Ainsi travaillant sur la base de données de PASO Flamande (Panel Survey of Organizations), Delmotte et Sels (2005) montrent que l’outsourcing des RH n’est pas toujours un instrument de réduction des coûts et que la démarche d’externalisation est plutôt dictée par une vision plus stratégique du rôle de la fonction RH. Ils observent que l’internalisation (délégation de responsabilités RH à la ligne hiérarchique) et l’externalisation sont fortement corrélées, sans toutefois que les attributions du département RH soient vidées de leur contenu. Internalisation et externalisation conjuguées permettent à la fonction RH d’évoluer davantage vers un rôle de « strategic business partner » », notent les auteurs.

Une gestion efficace de la relation d’externalisation est donc une condition indispensable au succès de la collaboration. Il n’est alors pas surprenant que des auteurs parlent non plus de BPO mais de KPO Knowledge Process Outsourcing (Falguni, Michael 2006).

L’outsourcing RH n’est pas seulement présenté dans cet article comme un instrument de diminution des coûts RH mais comme outsourcing transformationnel, comme processus de changement organisationnel et stratégique. Le BPO et les SSC redéfinissent les contours de l’entreprise et permettent à la RH de créer de la valeur. Le transfert de personnel ou le transfert de compétence n’ont peut être pas le même impact sur le risque social. Ce dernier est aujourd’hui un frein majeur du BPO et notamment en France.

Source : Cairn Info